Planter du Nebbiolo en Belgique : une utopie ?

Lorsque Jean Galler, le chocolatier devenu vigneron, a créé son domaine à Vaux-sous-Chèvremont (province de Liège) en 2009, il l’a baptisé Septem Triones, les « sept bœufs de labour » en latin, désignant les sept étoiles de la Grande Ourse. Une évidence « parce que nos vignes ont été plantées très au nord », résume-t-il. C’est une évidence : la viticulture du XXIe siècle a fait exploser la barrière du 50e parallèle, marquant l’invisible frontière au-delà de laquelle la culture de la vigne n’était, jusqu’il y a peu, climatiquement pas possible.

Plus personne aujourd’hui ne doute du fait que la viticulture s’ancre durablement dans le paysage belge : la superficie agricole dévolue à la culture du raisin de cuve est passée de 119 hectares en 2011 à 891 hectares en 2023, selon les chiffres du SPF Économie. Un peu hâtivement, toutefois, certains comparent la Belgique aux régions viticoles françaises les plus septentrionales comme la Champagne, l’Alsace, le Jura ou encore la Bourgogne. Une grossière erreur, relève Sébastien Doutreloup, docteur en climatologie de l’ULiège. Son arme fatale pour rétablir la vérité scientifique est l’indice de Huglin (IH), un indice de chaleur bioclimatique permettant de classifier les vignobles (et, par ricochet, les cépages qui y sont associés) dans différentes catégories de climat. À titre d’exemple, le cépage Müller-Thurgau arrive parfaitement à maturité avec un indice de Huglin de 1 500 (climat frais), tandis que le Carignan a besoin d’un indice minimal de 2 200 (climat tempéré chaud).

Quand l’indice de Huglin s’emballe

Depuis 1950, l’indice de Huglin a allègrement franchi plusieurs paliers en Belgique sous l’effet du réchauffement climatique. Dans un article de recherche publié en 20221, Sébastien Doutreloup épingle le fait que la Belgique conserve néanmoins un climat plus frais que les régions viticoles du nord de la France, avec un IH moyen de 1 511 entre 2000 et 2020, contre 1 695 pour la Champagne, 1 865 pour la Bourgogne ou 1 914 pour l’Alsace. Il en résulte, par exemple, que la maturité théorique du Chardonnay (correspondant à 200 g/l de concentration en sucre) reste beaucoup plus tardive chez nous que dans ces différents vignobles de l’Hexagone. Selon toute vraisemblance, « les vignerons belges vendangeront le Chardonnay en 2030 à la même date (théorique) que les Champenois en 2010 », assure le climatologue de l’ULiège.

Lors d’une journée d’étude organisée, le 7 juin dernier, par l’Union des Œnologues de Belgique au domaine liégeois VivArdent, Sébastien Doutreloup s’est efforcé de décrypter l’avenir du vignoble belge à l’aune du dérèglement climatique. Toujours considéré comme « frais », le climat belge flirte désormais, durant les années les plus chaudes, avec la limite inférieure du climat tempéré (soit un IH de 1 800). En 2022, millésime béni pour le vignoble belge, l’indice de Huglin a, par exemple, atteint 1 746 à Rosoux, localité où est implantée le vignoble du Domaine des Hêtres. « Il est prévisible qu’à l’horizon 2100, nous devions composer avec un climat tempéré, voire tempéré chaud dans l’hypothèse d’une hausse plus brutale des températures », prévient le climatologue. Dans ce scénario extrême, la Syrah, le Nebbiolo, le Grenache ou encore le Carignan feraient partie des cépages qui s’acclimateraient parfaitement chez nous ! Une utopie ? Cela reste à voir.

Vers la plantation de nouveaux cépages

À Linden (Brabant flamand), Urbain Vandeurzen, riche propriétaire du domaine viticole éponyme, a fait le choix audacieux – et unique en Belgique – de planter les cépages Albarino (en blanc) et Tempranillo (en rouge) en raison d’une affinité personnelle pour les vins espagnols. Moyennant une taille stricte de la vigne et des vendanges en vert, les responsables du Wijnkasteel Vandeurzen déclarent un rendement sur ces deux cépages correspondant grosso modo à une bouteille par pied de vigne. Ce qui n’est franchement pas si mal ! « Pour faire un vin blanc de qualité, il faut viser un rendement maximal de 50 hl/ha, soit, avec une densité de 5 000 pieds à l’hectare, 1 litre par pied, ce qui correspond à 1,3 kg de raisins ou une dizaine de grappes », résume Damien Briard, vigneron au Vignoble du Château d’Annevoie et membre de l’Union des Œnologues de Belgique.

Dans son micro-vignoble liégeois, Jean Galler a mis en bouteilles 82 bouteilles de Syrah en 2022 en ayant vendangé 400 pieds garnis du cépage roi du Rhône Nord et l'on défie quiconque de deviner que ce nectar provient de Belgique dans une dégustation à l'aveugle ! « En 2023, rapporte-t-il, nous avons planté du Grenache noir, du Grenache gris, du Nebbiolo et du Sangiovese. Et en 2024, du Mourvèdre. Il est trop tôt pour dire si nous avons bien fait, mais quand je vois que le Cot (ou Malbec) fait partie des premiers cépages à atteindre la maturité, je suis très confiant. En 2025, nous planterons également du Tempranillo. »

Des choix plus dictés par le cœur ou par une volonté d’expérimentation que par une stricte logique financière, certes, mais qu’en sera-t-il demain ? Si l’on considère la plantation d’un vignoble comme une entreprise à long terme (« nous plantons pour les cent années à venir », proclament en cœur les néo-vignerons belges), peut-être ces vignerons un tantinet casse-cous auront-ils juste eu raison un peu trop tôt…

Chantal Samson

25 juin 2024

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