Durant cet été 2020, on n’aurait pu choisir un refuge anti-Covid plus parfait que le Château de Suronde, à une petite heure de route d’Angers. Château est, certes, une désignation un peu pompeuse pour cette bâtisse bourgeoise au confort relativement spartiate, mais elle mérite qu’on y pose ses valises pour la beauté stupéfiante de la vue que l’on peut admirer à travers la baie vitrée du séjour. Ici, il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde… Le Château de Suronde a été construit sur le prestigieux terroir de l’appellation Quarts-de-Chaume, l’unique Grand Cru du Val de Loire : la propriété compte 6,5 hectares de vignes en coteaux, elles-mêmes entourées par 10 hectares de nature. Un environnement parfait pour initier des pratiques biodynamiques dans le vignoble. C’est la décision qu’a prise la Belge Kathleen Van den Berghe, propriétaire du domaine depuis 2016, par conviction profonde autant que par intérêt économique : en effet, certaines années, le gel lui a fait perdre entre 60% et 90% de sa récolte. En 2020, protégés par des pochons en matière biodégradable et grâce à un sol bien aéré favorisant le développement d’un système racinaire plus long, même les jeunes pieds de Chenin blanc, plantés il y a seulement deux ans, ont survécu à toutes les vicissitudes climatiques ! En Anjou, les domaines en biodynamie ne sont pas légion et Sébastien, l’homme qui murmure à l’oreille des vignes de Suronde tout au long de l’année, n’y croyait pas trop lui-même avant de constater les incroyables vertus de ses tisanes de consoude, d’ortie ou d’achillée. Aujourd’hui, il salue l’intransigeance de Kathleen et pour rien au monde ne ferait machine arrière, lui qui a été formé dans la viticulture traditionnelle.
Kathleen et son mari Sigurd Mareels ont posé les premiers jalons de leur entreprise viticole il y a tout juste dix ans. Elle est ingénieur en construction, lui est actif dans l’industrie minière. Kathleen plante là sa carrière dans le business et se jette à corps perdu dans cette nouvelle aventure, faisant des navettes incessantes entre la banlieue bruxelloise et le Val de Loire. Le couple a jeté son dévolu sur une propriété sise à Ingrandes-sur-Touraine, en appellation Bourgueil : le Château de Minière. Dix ans d’efforts ininterrompus pour restaurer admirablement le château – car, pour le coup, il s’agit bien d’un château ! –, moderniser le chai, étendre le vignoble jusqu’à une superficie de 29 hectares et multiplier les initiatives favorisant la biodiversité. Le vignoble de Minière actuellement en production est composé à 100% de Cabernet Franc et s’étend sur des graviers proches de la Loire jusqu’aux terres argilocalcaires et argilosiliceuses des coteaux qui dominent la vallée (c'est là que sont plantées les vignes plus que centenaires du domaine). Le domaine est certifié bio et Kathleen aimerait le convertir, lui aussi, à la biodynamie.
C’est cette démarche sans concession qui a séduit le Français Patrick Aledo. En juillet dernier, il a quitté l’Alsace, où il dirigeait depuis quatorze ans la Cave coopérative de Beblenheim (120 vignerons adhérents) pour déposer ses valises au Château de Minière. Sa mission : dynamiser la politique commerciale, rationaliser la production et gérer les activités œnotouristiques, actuellement en plein boom (le Château est mis en location, de même que trois gîtes et deux maisons). « Notre potentiel à terme est de 120 000 cols », précise Patrick Aledo. À côté des vins blancs secs et liquoreux produits au Château de Suronde et dans une propriété voisine, le Château de Bellerive, dont Kathleen et Sigurd ont récemment acquis les bâtiments (mais pas les vignes), le gros de la gamme se concentre sur les vins rouges, rosés et effervescents (pétillants naturels). Assistés dans les vinifications par Stéphane Derenoncourt et son équipe, les propriétaires belges de Minière sont en recherche perpétuelle du « mieux ». À Minière, ils testent actuellement l’impact d’une amphore en terre cuite de 800 litres sur les jus extraits des vignes centenaires du domaine – et il faut bien avouer que le velouté de la cuvée 2018, dégustée cet été, est assez remarquable. À Suronde, les expérimentations se font notamment sur des grands foudres afin d’estimer le potentiel de rondeur et de gras qui peut se dégager de certaines cuvées. En préparation aussi pour 2022 : des Crémant de Loire en rosé et en blanc de noirs.
Au Château de Suronde, Kathleen Van den Berghe a choisi de marier l’art du vin à l’art tout court. Après avoir meublé les lieux de pièces chinées notamment auprès des brocanteurs des Marolles, à Bruxelles, elle en a fait une résidence d’artistes. Chaque année, un jeune plasticien belge est invité à y séjourner pour créer. Leur sélection est opérée par le curateur flamand Sven Vanderstichelen. Ce sont des détails des œuvres des artistes invités qui ornent les bouteilles du Château de Suronde : Stefan Peters, originaire de Hasselt, a ainsi habillé les cuvées 2017. Une exposition organisée en Belgique clôture l’expérience – sauf en ces temps de pandémie. La résidence pourrait également accueillir dans le futur des écrivains, des musiciens et des artistes d’autres disciplines encore.
Une chose est sûre : on n’a pas fini d’entendre parler de Kathleen et Sigurd au cœur du Val de Loire. Et ils ne sont pas les seuls Belges à faire bouger les lignes : bientôt, nous vous conterons l’incroyable histoire de Guillaume et Adrien Pire, propriétaires du Château de Fosse-Sèche, considérés comme des farfelus parce qu’ils plantent des arbres sur des « terres à vignes » pour construire un écosystème idéal autour de leur vignoble.
Bruit du bouchon qui saute.
Synonymes : Belgitude. Convivialité. Partage. Curiosité.